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La Boite Alerte Frédéric Aribit
Le vélo, la montagne, l'ange et le poète
Il a la couenne des grands chefs sioux. Son tomahawk est un Mont-Blanc et quand il écrit, Miles Davis claque des doigts. Poète, romancier, pamphlétaire, parolier occasionnel de son ami gascon Claude Nougaro, bref écrivain swing et basané, Christian Laborde publie deux livres vélocipédiques : Pyrène et les vélos raconte les exploits et les drames des champions du Tour de France dans les étapes pyrénéennes. L'Ange qui aimait la pluie suit la roue détrempée de Charly Gaul, sur le légendaire Tour de 1958.
Christian Laborde, Pyrène et les vélos, Les Belles Lettres, 1993. L'Ange qui aimait la pluie, Albin Michel, 1994.
N'est-ce pas pénible d'être systématiquement présenté comme l'auteur de L'Os de Dionysos, ce livre sulfureux qui, rappelons-le, fut censuré pour pornographie et danger pour la jeunesse, alors même que d'autres de vos livres, et notamment Pyrène et les vélos, sont de véritables succès ? Ça ne me gêne pas du tout que l'on rappelle mes titres de noblesse. L'Os de Dionysos est un fabuleux pin's au revers de mon paletot. Etre censuré, c'est être en QHS, Quartier de Haute Syntaxe, aux côtés de Baudelaire et de Flaubert, alors non, ça ne me gêne pas du tout ! Par contre, ce doit être plus gênant de rappeler à un écrivain qu'il a eu le Goncourt. Voilà qui est vraiment outrageant ! Souvenons-nous de la définition de Boris Vian : Goncourt, déformation de Concours par gâtisme. Mais Dieu merci, je n'ai pas été Goncourable, j'ai été censuré ! Pyrène et les vélos s'ouvre et se referme sur deux dédicaces à votre père. Peut-on dire que c'est lui qui est à l'origine de votre amour pour le vélo, et donc à l'origine de ce livre ? Tout à fait. C'est mon père qui m'a initié au vélo et au Tour de France. J'ai le souvenir d'une enfance, dans le village bigourdan d'Aureilhan, et d'un père qui, le soir, à table, en maillot de corps, La Nouvelle République des Pyrénées sous les yeux, commentait l'étape du jour. J'entendais alors des noms merveilleux, magiques, comme ceux de Coppi, Bartali ou Vietto, et dans cette java phonétique, les noms propres devenaient des noms de héros. Ce livre est donc à la fois un salut à mon père et un salut à une certaine France, celle de la Dauphine, et de cette époque où l'on partait pour la journée assister à l'étape du Tour. Le livre célèbre Ocaña, Thévenet et Poulidor, mais il célèbre aussi les Pyrénées, le Tourmalet, l'Aubisque ou Peyresourde. La montagne domptée, dominée par l'homme, par le tourisme, par le béton, reprend ses droits et redevient un lieu à vaincre. Elle prend une dimension épique grâce au vélo, et le vélo atteint une dimension légendaire grâce à elle. On retrouve les thèmes qui vous sont chers, les Pyrénées donc, mais aussi les langues française, occitane, basque, les ours, la mythologie… Drôle d'idée, non, de greffer ces thèmes sur un livre consacré au Tour de France ? Ce sont les coureurs qui m'ont inspiré ainsi ! N'oublions pas que le Tour de France, crée en 1903, n'attaque les Pyrénées qu'en 1910. Cette année-là, les grimpeurs s'appelaient Garin, Lapize… Au sommet d'Aubisque, ils ont traité Desgranges, créateur du Tour, d'assassin ! Il faut dire qu'après le ballon d'Alsace, ils découvraient la haute montagne, et ils étaient persuadés qu'ils allaient être dévorés par les ours ! J'ai donc par exemple imaginé le dialogue entre les organisateurs du Tour et les ours. Le livre va ainsi de cette étape de 1910 où les ours laissent passer les coureurs jusqu'à Indurain, que les ours souhaitent applaudir avant de disparaître eux-mêmes… Le sport cycliste est un sport qui renoue avec cette montagne mythologique. Le côté publicitaire, sponsoring, avec sa longue caravane qui défile avant les coureurs, ne vous gêne pas? En fait, je me suis surtout intéressé à l'exploit sportif, au fait que Robic démarre et franchit les sommets des quatre cols entre Luchon et Pau seul en tête. Qu'il y ait deux ou trois voitures Coca-Cola ne me pose pas de problème. Pour les enfants, d'ailleurs, cette caravane a quelque chose de merveilleux. Quand j'étais gosse et que ces voitures passaient, on allait à la cueillette des prospectus. J'ai voulu respecter ce que j'avais vécu de ce temps-là, ce livre vient aussi de l'enfance… Quoi qu'il en soit, et quelle que soit la voiture passée devant, la sueur reste la même. Qui peut être sensible à cette manière fantaisiste de raconter le Tour ? Des mordus de vélo ou des mordus de littérature ? Le livre est empreint de deux dimensions. D'une part, une dimension précise de reportage. Le lecteur connaît l'écart en secondes entre Delgado et Hinault au sommet du Tourmalet, et on ne peut pas tricher avec cette vérité-là. D'autre part, une dimension liée à tout le travail de l'écriture et à l'imagination. C'est vrai que pour évoquer le Tour de 1929, avec la fourche brisée ou plus probablement sciée de Fontan, je fais intervenir l'inspecteur Colombo qui mène l'enquête. Mais je crois que tout cela se réunit dans la mesure où il existe une tradition de la littérature sportive. Ecrire sur le Tour de France, c'est écrire après Antoine Blondin, après Jacques Perret, Dino Buzzati ou Curzio Malaparte. Les écrivains ont toujours été fascinés par le Tour et par cette étonnante machine qu'est le vélo. Je considère que les deux plus belles machines créées par l'homme sont la bicyclette et la locomotive, symboles de la liberté d'un homme qui quitte tout à coup le peloton et va accomplir un exploit. On assiste à des péripéties surprenantes, des histoires d'empoisonnement… Oui, et cela aussi est spécifique aux Pyrénées. Il s'y passe des exploits sportifs, des tragédies, comme la chute d'Ocaña en 1971, le dos planté dans un rocher de la montagne, et enfin des affaires de gangstérisme terribles. On pense à Duboc, en 1911, Paul Duboc dit “La Pomme” qui, parti pour gagner le Tour, était empoisonné à Argelès-Gazost. Et la fourche sciée de Fontan, qui emprunte alors le vélo du facteur !… Et ce méchoui… Ah, le méchoui, ça c'est la grande classe d'Anquetil ! En 1964, pendant la journée de repos, et alors que tous les autres s'entraînent, Jacques Anquetil participe à un méchoui organisé par Radio Andorre. Il mange un gigot d'agneau bien arrosé de sangria et le lendemain, il est blanc, il vomit à chaque kilomètre mais il récupère malgré tout en buvant une coupe de champagne au sommet du col, tout cela est parfaitement authentique, et il rattrape Poulidor et Bahamontès qui avaient quatre minutes d'avance sur lui ! Voilà les Pyrénées, un méchoui, un empoisonnement, c'est pas Roland-Garros !… Et à propos de ce fameux casque obligatoire… Je suis un écrivain pamphlétaire, et évidemment, je n'allais pas manquer de hurler et de publier une lettre au Président de l'Union Cycliste Internationale, qui a rendu le port du casque obligatoire. Avec ce casque, on ne voit plus le visage des coureurs, et le vélo, ce n'est pas le casque, mais le masque ! Sans voir le visage d'Ocaña dans le col, on est privé d'une communion avec lui. C'est pour cela que je condamne le casque, que les coureurs eux aussi condamnent puisqu'ils l'ont surnommé “la cocotte-minute”. Ils préfèrent quitter le casque et risquer une amende, que de grimper avec cet insupportable étau de chaleur, qui devient d'ailleurs un support publicitaire de plus !… Le parallèle entre Pyrène et les vélos et L'Ange qui aimait la pluie est évident. Tous deux sont issus de la même veine. N'avez-vous pas l'impression de vous répéter? D'utiliser un même filon ? D'abord, j'aime bien le mot filon. Ça renvoie à la mine, et donc au travail de l'écrivain. L'écrivain creuse sans arrêt avec sa pioche à la recherche de pépites et de syllabes. Ensuite, ce sont tous deux des livres qui viennent de mon enfance. Ecrire, c'est renouer avec sa propre enfance, et précisément, la mienne s'est déroulée sur fond de montagnes et d'exploits cyclistes racontés par mon père. Il n'y a donc là rien d'un filon, au sens où vous l'entendez, et de toute façon, je ne suis pas un homme de calcul. Comme l'a écrit Claude Nougaro, je suis un Robin des Bois sur l'arbre de la poésie. Pyrène et L'Ange sont d'ailleurs des livres très différents : l'un est un ouvrage éclaté, qui évoque divers moments de plusieurs Tours successifs, alors que l'autre est beaucoup plus romanesque, avec comme héros unique Charly Gaul. Ainsi, même si mes livres sont tous deux vaccinés avec un rayon, je crois qu'ils sont très différents dans leur conception. On trouve cependant la même dimension épique des personnages et des anecdotes racontées. Je suis un écrivain des légendes, et en cela, je vais un peu à l'encontre de mon époque. Aujourd'hui, tout le monde a à la bouche le mot “démystifier”. Et bien moi, je suis un partisan du grand carnaval ! J'aime les héros, et je veux leur bâtir des statues syllabiques. De plus, c'est Antoine Blondin qui l'a dit le premier : quiconque parlera du vélo sera contraint de passer par le style épique. Outre mon goût personnel pour les légendes, pour les paroles colorées, il y a donc une exigence propre à la petite reine elle-même. Quand on parle des gueules noires, on pense aussi bien aux mineurs qui remontent de la mine qu'à la gueule de Duclos-Lassalle à l'arrivée du Paris-Roubaix. Les voilà, les gueules noires ! Elles ont cette dimension épique ! On ne peut pas passer outre ! Sans doute avez-vous eu des réactions des coureurs eux-mêmes, peut-être même de Charly Gaul en personne, dont on dit qu'il est bien cet ermite que vous décrivez notamment dans le dernier chapitre ? Gaul est un ours, un ours mal léché, et en tant qu'ours, il m'intéresse déjà. Il n'a accordé que quatre interviews depuis qu'il a gagné ce Tour en 1958, c'est dire si cet homme est silencieux ! Il n'est pas devenu directeur sportif, ou chroniqueur, non. Je devais donc respecter son isolement. Il n'était pas question pour moi de l'importuner. J'avais juste envie de lui faire un cadeau. Un cadeau en forme de livre, puisque ce sont les seuls cadeaux que je puisse faire. J'ai donc écrit L'Ange sans le contacter, puis je suis allé, mon livre sous le bras, sonner à sa porte. J'ai d'ailleurs trouvé facilement son adresse : Gaul, qui est un ange, habite rue de l'Horizon, ça ne s'invente pas !… Là, nous sommes allés dans la forêt derrière chez lui, nous avons marché puis nous nous sommes assis au pied d'un chêne. J'ai alors eu l'audace d'ouvrir mon livre et de lui lire le chapitre sur son envolée dans le Luitel. Gaul a simplement dit ceci : “les mots sont justes”. Et s'entendre dire bravo par un maillot jaune, c'est vraiment, pour l'écrivain que je suis, quelque chose de capital. Il est à la portée de n'importe qui de passer devant le comité de lecture de Gallimard, mais devant Charly Gaul !… J'ai donc continué ma lecture un chapitre de plus et il a rajouté : “Enfin un livre pas comme les autres !” Ça, c'est quelque chose ! Gaul a été ému par l'histoire d'amour entre la pluie et lui. Cette idée l'a touché, les anges sont très sensibles… Quand on sait que les coureurs détestent la pluie parce qu'elle facilite les chutes, qu'elle pousse à abandonner, qu'elle durcit les muscles, fiche le moral à zéro… Charly Gaul, lui, était à l'aise, c'était unique pour moi ! J'ai tout de suite compris que c'était parce que la pluie était amoureuse de lui, et lui d'elle ! Mon livre est donc bien un roman d'amour, et pour parler comme Cocteau, j'ai écrit un mensonge qui dit la vérité. Tout, dans ce livre, est donc entièrement exact parce que vous l'avez imaginé… Exactement. J'ai imaginé les coups de téléphone entre Charly Gaul et la pluie, le soir, ou les rencontres avec Pétrarque… Je rappelle également que c'est Léonard de Vinci qui a inventé la chaîne de vélo… Bref, il y a des vérités et des demi-mensonges, et l'ensemble constitue un écrin de mots qui met en avant le fabuleux bijou d'un exploit dans le Luitel. Les personnages que l'on croise ainsi, de Piaf à Trénet, de Rostand à Nabokov, habitent ma propre mémoire. N'oublions pas que le cadeau que Nabokov fait à Lolita, c'est une bicyclette ! Il s'agissait pour moi de renouer avec toute une tradition littéraire, celle des écrivains du vélo, et me mesurer à ces pointures syllabiques qui occupent ma bibliothèque. D'où la dimension shaker de mon livre. Un shaker qui, j'espère, provoque bien des ivresses.
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